Sur les cimes des canyons du parc national d’Isalo (Sud de Madagascar, Régions Ihorombe et Atsimo Andrefana), Kakaza domine les massifs merveilleusement sculptés par les érosions. Jumelle aux yeux, téléphone en poche, il scrute le paysage digne d’un western. La forêt sclérophylle, la savane, les arbres en bordures des cours d’eau, tous y passent. Scrupuleusement, il guette la moindre fumée.
A Madagascar, la guerre contre le feu est au cœur des priorités des gestionnaires de aires protégées. Si les feux étaient maîtrisés, la gestion des aires protégées serait plus aisée, les bailleurs de fonds apporteraient davantage de financements, car les fonds seraient plus sécurisés. Tous les ans, les gestionnaires doivent faire preuve de créativité pour prévenir et gérer les feux. Dans le parc national d’Isalo, important pourvoyeur de devises au niveau national, Madagascar National Parc a mis en place un système d’alerte précoce. Focus sur ces pompiers de l’ombre.
Les guetteurs, premier maillon de la lutte contre le feu
« D’août à décembre, une fois l’entretien des pare-feux bien terminé, je reprends ma casquette de guetteur. En saison sèche, un incendie est vite enclenché, soit par la foudre soit par des individus. Mon rôle est de surveiller le secteur, repérer les points de déclenchement des feux, puis informer rapidement les personnes concernées par la lutte feu afin de minimiser les dégâts » nous confie ANDRIANKAJA Émile Brillant dit Kakaza, agent de parc et habitant dans la commune de Ranohira.
Guetteurs de feux, ils sont plusieurs à Isalo répartis dans 3 secteurs : Ranohira, Ilakaka, Ilemby. Dix (10) points de guets, placés sur les hauteurs stratégiques du massif, dont une à proximité de la fameuse fenêtre d’Isalo, surplombent les 81 000 ha de l’aire protégée. Chaque tour de guets compte une équipe de 2 à 4 agents, certains sont véhiculés d’un camion-citerne en fonction de l’accessibilité. Ces guetteurs sont formés et équipés pour détecter de loin les occurrences de feux dans le parc. En cas de départ de feux, les équipes véhiculées les plus proches sont prévenues et rejoignent immédiatement le lieu de l’incendie. L’accessibilité étant parfois complexe, seul leur maitrise du terrain demeure leur atout pour atteinte au plutôt du site brulé. Parallèlement, les équipes de Ranohira (siège de l’aire protégée) sont alertés pour qu’ils tiennent prêts les autres agents et les communautés si du renfort est nécessaire. A Ranohira, beaucoup de familles bénéficient du tourisme à Isalo, et ils n’hésitent pas à se déplacer volontairement pour éteindre le feu, parfois avant même d’être prévenus par les agents du parc. Des indemnités sont prévues pour ces actes volontaires.
Les conclusions d’une mission de suivi-évaluation en 2022 dans l’aire protégée sont plutôt encourageantes comme le témoigne Serge Ratsirahonana, responsable suivi-évaluation de la FAPBM. « Pour mesurer l’efficacité de gestion des feux, j’analyse le lien entre le nombre de points de feux et les superficies brûlées. A Isalo, le nombre de points de feux en T3 est de 22 VIIRS et 6 MODIS (en T3 2021, c’était 2 fois plus) et tous ces feux ont été éteints avant de toucher le parc. Bien que la savane ait été brûlée, l’incendie a épargné la forêt. Les écosystèmes cibles de conservation à Isalo n’ont pas été touchées. »
Un système d’alerte précoce simple à répliquer
Ce système d’alerte précoce est fréquemment utilisé dans la Gestion/Réduction des Risques de Catastrophes (RRC/GRC). Par contre, dans la conservation et la gestion des aires protégées, il faudrait le vulgariser davantage. En Afrique du Sud et de l’Est, l’efficacité de ce système a été prouvée sur les sites du Patrimoine Mondial. La réduction des dégâts est de presque 80 % dans certains sites en 3 ans.
Bon nombre de gestionnaires d’aire protégée appliquent déjà cette méthode avec les constructions de tours de guets dans les aires protégées. A Antrema, par exemple, les tours de guets servent aussi de point de stockage de matériel de lutte contre les feux et de point de ralliement des équipes. Toutefois, tout aussi nombreux sont les gestionnaires qui n’utilisent pas encore ce système.
Ce système d’alerte précoce nécessite des fonds (indemnités pour les comités contre les feux, crédits téléphone pour les alertes), des équipements et matériels (sacs à eau, camions citernes, impluviums, etc.) et un suivi technique très rapprochée de manière à s’adapter rapidement.