Entre 50 000 et 100 000 ha de forêts sont perdues tous les ans à Madagascar, avec les services qu’elles nous apportent : la purification de l’air, la protection contre l’érosion du sol, la prévention contre l’ensablement, etc. Le feu est la première source de la déforestation à Madagascar. Comment les aires protégées gèrent-elles cette menace dont les raisons sont multiples ? A travers un webinaire qui s’est déroulé le 10 juin 2022, la FAPBM a donné la parole à 3 des gestionnaires des aires protégées qu’elle appuie : Missouri Botanical Garden (MBG), MNP et The Peregrine Fund (TPF).
Brice Funk Lee Rakotozafy, responsable de site auprès de MBG, a partagé l’expérience de l’AP d’Ibity (Axe Sud, à 180 km de la capitale de Madagascar). Brice a expliqué, photos à l’appui le système de feux précoces dans la savane et les forêts de plantes pyrophytes. Cette méthode est la résultante d’un suivi minutieux de l’historique d’image satellites et des cartographies de l’AP : carte d’évolution des surfaces des bois de tapia, carte de fréquence de feu pendant 17 ans, carte de localisation des zones de pénétration de feu dans l’AP, carte des feux naturels.
Dr Yverlin Pruvot, responsable de site auprès de TPF, a élaboré sur le rôle des communautés (VOI) des aires protégées des Complexes Tsimembo Manambolomaty et Mandrozo (Ouest de Madagascar), dont la cause des feux est liée à des pratiques agro-pastorales. En amont, les communautés sont sensibilisées, et éduquées sur les textes règlementaires. Puis elles sont impliquées dans le contrôle et la surveillance, le recueil d’informations et la détection (patrouilles communautaires, entretien et nettoyage des zones de reboisement, mise en place et entretien de pare-feux…). En cas d’incendie avéré, elles sont mobilisées pour éteindre le feu.
Aroniaina Rajaonarivo, chargé des opérations, a longuement expliqué le système de gestion de feux du réseau Madagascar National Parks (MNP). Selon les observations, les principales causes du feu sont le défrichement et les feux de végétation. Un système d’information important a été mis en place pour prévoir et réagir rapidement à l’occurrence des feux : le suivi journalier par satellite et via les agents sur terrain, la cartographie des risques de feux sur base d’analyse multivariable (historique, climat, démographie, occupation du sol, etc.)
Malgré une baisse des points de feux de -45 % dans les AP financées en 2021 par rapport à 2020, le plus grand défi reste la gestion de l’explosion démographique, multipliant les risques de pression sur les Aire Protégée. Cependant, l’implication des communautés demeure un atout-clé dans la lutte contre les incendies.
Le lien de la vidéo est disponible ici.
Les questions-réponses :
Les questions ont apporté des compléments d’informations, dont les réponses vous sont retranscrites ci-après pour celles abordées au cours de la session. D’autres n’ont pas pu être abordées au vu du temps imparti. Serge Ratsirahonana (SR), Responsable Suivi-Evaluation de la FAPBM, Brice Funk Lee Rakotozafy (BR), Chef d’aire protégée auprès de MBG, Aroniaina Rajaonarivo (AR) de MNP et le Dr Yverlin Pruvot (YP), Responsable de site auprès de TPF sont revenus dessus pour les lecteurs :
Q : Comment avez-vous géré le feu durant les deux confinements en 2020 et 2021 ?
AR : Nous avons pu poursuivre les activités prévues par le plan de gestion de feux, à l’exception des sensibilisations communautaires, pour éviter le regroupement de masse.
BR : Pendant la période de confinement, les patrouilles et la sensibilisation communautaire ont été fortement renforcées par rapport à la période précédente. Par ailleurs, le survol par drone de l’aire protégée a été multiplié, à la fois pour des fins de surveillance et d’intimidation.
YR : Aucun changement majeur n’a été opéré dans nos méthodes durant le confinement. Nous avons continué les actions de lutte active et passive.
Q : Avoir des techniques de gestion de feu ne devrait-il pas être obligatoire pour un promoteur qui gère une aire protégée ?
SR : Effectivement un système de gestion avec un volet sur la lutte active et sur la lutte passive est requis pour l’ensemble des gestionnaires d’aire protégées.
Q : Comment gérer les feux pour les AP à grande superficie ? (+ de 5 000 ha)
AR : Nous avons un plan de gestion de feux, qui catégorise les sites à feux, comme Mikea par exemple. Chacun des sites dispose d’un plan stratégique de gestion de feu qui inclut la prévention (patrouille, sensibilisation, pare feu, etc.) et la lutte active (brigade de feu, etc.).
SR : L’expérience MNP démontre que le suivi des images satellitaires puis les systèmes d’alertes précoces et enfin la mobilisation communautaire et lutte active sont des piliers de la gestion des feux dans les aires protégées à grande superficie. En ce qui concerne les images satellites, le Géoportail promu par le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable https://www.rfmrc-ea.org donne accès à des images satellitaires à jour sur la Grande île.
Q : Dans quel contexte/condition parle-t-on de gestion des feux et de lutte contre les feux ?
SR : La gestion de feux concerne le système global en place tandis que la lutte contre les feux en est son application opérationnelle.
Q : Est-ce que ces cartes de feux sont distribuées aux promoteurs autres que MNP ?
SR : Chaque promoteur possède la carte de feu relative à son aire protégée à un temps T, nécessité pour son suivi et son rapportage. Pour y avoir accès, la demande devra se faire au niveau du gestionnaire concerné.
Q : Comment reconnaître et distinguer les feux d’origine naturelle de celles anthropiques ? Les feux qui s’étalent à grande échelle sont-ils surtout des feux naturels ou anthropiques ?
BR : Les feux naturels prennent source à l’intérieur de l’aire protégée tandis que les feux anthropiques viennent de l’extérieur des aires protégées. Les feux naturels sont généralement de faible surface voire de 50 m2, formant des mosaïques à l’intérieur de l’aire protégée, tandis que les feux anthropiques sont de grande surface.
Q : A partir de quels critères établissez-vous les risques de feux ?
AR : Les critères ne se sont pas limités à la fréquence, mais également des modélisations qui prennent en compte les facteurs de survenance de feux (biomasse, etc.), et les activités humaines autour des zones à risques.
BR : D’une part, lorsque le feu ne s’est pas longtemps déclaré dans une zone, la probabilité de la hausse des graminées, soit de la biomasse (savane) est propice à l’occurrence d’un incendie. D’autre part, le suivi des activités des communautés permet de prévoir les périodes « favorables » aux feux, notablement la période de nettoyage avant mise en terre, et la période sèche durant laquelle en l’absence d’activités agricoles, les communautés se tournent vers le charbonnage.
Q : En ce qui concerne les impluviums ? Vous les remplissez en période sèche ? Et comment ? Si l’accès n’est pas carrossable ? Est-ce que le remplissement des impluviums (par la pluie) suit les périodes, le rythme de la fréquence des feux ?
AR : Le remplissage de l’impluvium se fait naturellement pendant la saison de pluie. Si celui-ci n’est pas suffisant pendant la lutte, les gestionnaires ont recours à d’autres points d’eau.
Q : Est ce qu’il y a des exemples ou références permettant de bien voir l’efficacité de ces feux précoces ?
BR : Dans les zones où les feux précoces ont été faits, l’ampleur des feux est généralement moindre, car la réduction de biomasse limite la propagation, voir éteint le feu.
Q : Quel est votre plus grand défi en termes de gestion des feux dans les Aires protégées ?
AR : Réduire de 20 % la superficie et le nombre de feux dans le réseau annuellement.
BR : L’identification du régime de feux adéquat pour l’aire protégée compte tenu des caractéristiques de l’aire protégée.
SR : Pouvoir contrôler les feux et éviter que ceux-ci ne s’étalent.
YP : Les plus grands défis sont la gestion de migration et l’explosion démographique, dont le besoin de terres arables multiplie les risques de pressions sur les Aire Protégée. Le premier nécessite une collaboration multisectorielle pour l’aménagement du territoire. Le second défi est l’autonomisation des communautés à défendre de par elles-mêmes l’aire protégée contre le feu.
Q : Est- ce possible de faire le pare-feu avec des végétaux comme brise feux ? si oui, quelles sont les espèces les plus utilisées ?
AR : A Ankarafantsika, nous avons encouragé les cultures sèches (manioc, arachide, maïs) sur une partie limitrophe du parc, évitant ainsi aux feux extérieurs d’entrer dans le parc.
SR : Sur un pare-feu végétal, des rangées de plantes se succèdent les unes aux autres des plus petites aux plus grandes tailles, en d’autres termes des légumineuses aux arbustes. Approche innovante, celle-ci présente l’avantage de limiter les feux et d’être utile pour les communautés.